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Urgence d’une convention internationale sur les pandémies

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Par Michel PRIEUR et Mohamed Ali MEKOUAR,

Par sa décision SSA2(5) du 1er décembre 2021, l’Assemblée mondiale de la Santé (AMS) a créé un organe intergouvernemental chargé de rédiger et de négocier une convention ou un autre instrument international sur les pandémies[1]. Non sans raison, le Directeur général de l’OMS a jugé cette décision « historique » car elle offre « une occasion unique de renforcer l’architecture mondiale de la santé afin de protéger et de promouvoir le bien-être de tous »[2].

Si cette importante décision est assurément à saluer, on ne peut que déplorer la surprenante lenteur du processus envisagé pour la mettre en œuvre.

Pourtant, cette décision a été prise lors d’une session extraordinaire de l’AMS, qui a été spécialement convoquée à cette fin du 29 novembre au 1er décembre 2021, avec toute la célérité qu’exige justement une réaction rapide aux conséquences ravageuses de la COVID-19[3]. Paradoxalement, toutefois, le calendrier arrêté pour les travaux de l’organe de négociation est désespéramment lent. Il prévoit en effet que : (i) la première réunion de cet organe se tiendra en mars 2022 pour fixer sa structure et son programme[4] ; (ii) sa deuxième réunion aura lieu en août 2022 pour identifier la disposition de la constitution de l’OMS au titre de laquelle l’instrument devrait être adopté[5] ; (iii) l’organe intergouvernemental fera ensuite un rapport d’étape à la 76e AMS, soit en mai 2023 ; (iv) enfin, il soumettra ses conclusions à la 77e AMS, c’est-à-dire pas avant mai 2024 ![6] Y a-t-il ou non urgence sanitaire face à la pandémie ? Mettre trois ans à rédiger une convention en situation d’urgence parait déconnecté de la réalité sanitaire.

Une posture résolument plus diligente s’impose face à la recrudescence mondiale de la crise pandémique. Un échéancier plus resserré demeure concevable si les États membres de l’OMS en conviennent. À cet effet, une nouvelle session extraordinaire de l’AMS pourrait être convoquée en décembre 2022[7], qui aurait pour unique objet d’examiner et d’adopter le projet de convention sur les pandémies, lequel aurait été préalablement élaboré et négocié par les soins de l’organe intergouvernemental créé par l’AMS.

Dans cette optique, les États membres pourraient redéfinir les termes de la décision SSA2(5) : (i) d’abord au cours du prochain Conseil exécutif de l’OMS (24-29 janvier 2022), dont l’ordre du jour comprend des points qui se prêtent à un débat pour décider de rééchelonner les réunions/activités de l’organe intergouvernemental[8] ; (ii) ensuite pendant la 75e AMS (22-28 mai 2022), qui pourrait entériner le calendrier révisé des réunions de l’organe de négociation et confirmer la volonté des États membres de tenir une session extraordinaire de l’AMS en décembre 2022.

L’échéancier ainsi raccourci se doublerait d’une intensification des réunions de l’organe de négociation, ce qui permettrait de conclure la convention avant fin 2022. Ce n’est pas utopique. En témoigne la mobilisation soutenue du Groupe de travail sur le renforcement de la préparation et de la riposte de l’OMS aux urgences sanitaires, qui s’est acquitté de toutes ses tâches et a tenu cinq réunions rapprochées en cinq mois, entre mi-juillet et mi-novembre 2021, à l’issue desquelles il a rendu son rapport évaluant les avantages d’une convention ou d’un instrument similaire sur les pandémies[9].

Dans un contexte comparable de grave catastrophe aux effets transfrontières, celui de l’explosion d’un réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl survenue le 26 avril 1986, deux conventions avaient été négociées et adoptées en seulement cinq mois jour pour jour au sein de l’Agence internationale de l’énergie atomique : la Convention sur la notification rapide d’un accident nucléaire et la Convention sur l’assistance en cas d’accident nucléaire ou de situation d’urgence radiologique[10]. Pourquoi une telle prouesse ne serait-elle pas reproductible aujourd’hui dans le cadre de l’OMS en présence d’une pandémie d’envergure planétaire ayant déjà tué plus de 5 millions d’êtres humains à travers le monde ?[11]

Cette démarche est celle préconisée par le Centre international de droit comparé de l’environnement (CIDCE), ONG internationale ayant le statut consultatif spécial auprès des Nations Unies. En soutien à l’initiative de l’OMS, le CIDCE a constitué en urgence une équipe d’experts juristes, de droit de la santé, droit de l’environnement et droits de l’homme[12], pour élaborer un projet de convention sur les pandémies. Après trois mois de travail bénévole, de septembre à novembre 2021, un projet de convention a été publié sur le site du CIDCE, avec un argumentaire plaidant pour son adoption[13]. En tant qu’ONG internationale spécialisée en droit de l’environnement, le CIDCE a naturellement vocation à protéger la santé humaine et la santé animale dans un contexte d’urgence.

Le désastreux bilan planétaire de la COVID-19 a mis à nu la vulnérabilité commune des nations face à une pandémie d’envergure mondiale, dont les retombées dévastatrices, à la fois humaines, économiques, sociales, sanitaires et environnementales, n’ont épargné aucun pays. Aucun État n’a pu, à lui seul, surmonter sans embûche la crise multiforme qu’elle a générée. À l’évidence, la communauté des nations n’était pas adéquatement outillée pour la gérer de façon rapide et efficace, tant individuellement que collectivement.

L’un des facteurs limitants de la capacité de réponse internationale commune aux flambées épidémiques aigües tient à l’absence d’une convention internationale traitant spécifiquement des pandémies. Certes, le Règlement sanitaire international de 2005, adopté et mis en œuvre par l’OMS, constitue un outil majeur de la lutte contre les épidémies, mais il ne satisfait pas pleinement aux exigences particulières de l’urgente réaction coordonnée qu’impose une pandémie fulgurante et diffuse. D’où le besoin de se doter d’un traité universel sur les pandémies qui mobilise la communauté internationale.

Il est désormais avéré que la recrudescence des pandémies est causée par les interférences anthropiques sur les écosystèmes naturels. L’interconnexion complexe qui existe entre les espèces vivantes est souvent à l’origine des zoonoses, dont l’apparition est liée à l’étroite interdépendance entre santé humaine, santé animale, qualité de l’environnement et changements climatiques. C’est pourquoi l’approche multisectorielle « Une seule santé » est au cœur du projet de convention. Au carrefour de toutes les disciplines intéressant l’interface humains-animaux-environnement, elle permet d’anticiper, de prévenir, détecter et contrôler les maladies qui se transmettent des animaux aux humains. Elle procède d’une approche de « santé planétaire » qui intègre intimement bien-être de l’humanité et sauvegarde des autres formes du vivant.

Le projet de convention est sous-tendu par le droit humain à une vie saine et en harmonie avec la nature, dans un environnement propice à la réalisation du niveau le plus élevé possible de santé et de bien-être, au profit des générations présentes et futures. Sur ce fondement, le texte conventionnel vise très largement à prévenir, anticiper, contenir, gérer et éradiquer les pandémies de façon rapide, efficace, équitable, solidaire et inclusive, dans le respect des droits de l’humanité et des limites planétaires.

Au titre de la préparation aux pandémies, le projet de convention exhorte les États : à mettre en place des stratégies nationales coordonnées associant les autorités sanitaires, vétérinaires et environnementales ; à développer la recherche scientifique sur les risques zoonotiques ; à disposer du personnel médico-sanitaire spécialisé requis et des infrastructures nécessaires ; à renforcer la surveillance épidémiologique par des systèmes de détection précoce et d’alerte rapide.

Pour riposter aux pandémies, les États doivent alerter la population en cas de détection d’un foyer pandémique, la protéger de manière efficace à travers un plan d’urgence, et informer en toute transparence les États susceptibles d’être touchés. L’équité vaccinale est consacrée, en reconnaissant que la vaccination à grande échelle et l’accès universel aux vaccins représentent un bien public mondial. Il en va de même pour les médicaments, les moyens de dépistage et les équipements médicaux, dont la disponibilité doit être généralisée. Dans cet esprit, les États parties coopèrent pour fournir et recevoir toute l’assistance requise, en tenant compte des besoins particuliers des pays en développement.

Le renforcement de la coopération scientifique et technique sur les pandémies constitue un volet primordial du projet de convention, qui vise à promouvoir le transfert de technologies et de capacités. Dans cette perspective, un Groupe d’experts intergouvernemental sur les pandémies (GEIP) est institué pour collecter et évaluer en permanence les données sur les origines, la prévention et la gestion des pandémies et pour fournir, de façon impartiale, des avis scientifiques, techniques, socio-économiques et juridiques.

Pour faciliter l’application effective de la convention, une coordination accrue des actions menées par les institutions internationales concernées par les pandémies est nécessaire entre particulièrement l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, l’Organisation mondiale de la santé animale, le Programme des Nations Unies pour l’environnement, l’Organisation mondiale du commerce et la Banque mondiale. Enfin, les États doivent affecter des ressources financières adéquates, prévisibles et durables pour les programmes relatifs à la prévention des pandémies et à la riposte aux pandémies.

Pareille convention servirait ainsi à asseoir la mobilisation de toutes les parties prenantes et à consolider les partenariats multisectoriels, offrant un cadre de dialogue et de convergence pour la cohérence des démarches, la coordination des actions et la synergie des interventions.

Menace universelle, la pandémie appelle une solidarité universelle pour une solution universelle au moyen d’une convention universelle. Il en va du bien-être de l’humanité et de la viabilité de la planète.

À urgence pandémique, urgence juridique.

 

[1] Décision intitulée : « Rassembler la communauté internationale : création d’un groupe de négociation intergouvernemental à l’appui du renforcement de la prévention, de la préparation et de la riposte face aux pandémies », https://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/WHASSA2/SSA2(5)-fr.pdf.

[2] www.who.int/fr/news/item/01-12-2021-world-health-assembly-agrees-to-launch-process-to-develop-historic-global-accord-on-pandemic-prevention-preparedness-and-response.

[3] En plus de 70 ans d’existence de l’OMS, seules deux sessions extraordinaires de l’AMS ont dû être convoquées : avant la deuxième qui vient de se tenir, la première a été motivée par l’urgence d’élire le directeur général de l’Organisation suite au décès inopiné, en 2006, de celui qui était alors en poste.

[4] Point 1-2) de la décision SSA2(5).

[5] Point 1-3) de la décision SSA2(5).

[6] Point 1-5) de la décision SSA2(5).

[7] Selon l’article 13 de la constitution de l’OMS, les sessions extraordinaires de l’AMS sont convoquées à la demande du Conseil exécutif ou d’une majorité des États membres. La dernière session extraordinaire a été organisée à la demande de la 74e AMS, formulée dans sa décision WHA74(16) du 31 mai 2021, https://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/WHA74/A74(16)-fr.pdf.

[8] Le point 3, « Résultats de la deuxième session extraordinaire de l’Assemblée mondiale de la Santé, tenue en vue d’envisager d’élaborer une convention, un accord ou un autre instrument international de l’OMS sur la préparation et la riposte aux pandémies », ainsi que le point 15, « Urgences de santé publique : préparation et action », qui comporte deux sous-points pertinents : (i) 15.1 – « Renforcement de la préparation et de la riposte de l’OMS aux urgences sanitaires (documents EB150/15 et EB150/160) ; et (ii) 15.2 – « Commission permanente de préparation et de riposte aux pandémies et aux situations d’urgence » (document EB150/17) : Ordre du jour provisoire, EB150/1, https://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/EB150/B150_1-fr.pdf.

[9] Rapport du Groupe de travail des États Membres sur le renforcement de la préparation et de la riposte de l’OMS aux urgences sanitaires à la session extraordinaire de l’Assemblée mondiale de la Santé, SSA2/3, 23 novembre 2021, https://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/WHASSA2/SSA2_3-fr.pdf.

[10] Adoptées l’une et l’autre le 26 septembre 1986 ; la première est entrée en vigueur le 27 octobre 1986, la seconde le 26 septembre 1987 : AIEA, « Les conventions sur la sûreté nucléaire », www.iaea.org/fr/themes/les-conventions-sur-la-surete-nucleaire.

[11] Au 19 janvier 2022, l’OMS avait dénombré un total de 5 551 314 décès dus à la COVID-19 : WHO Coronavirus (COVID-19) Dashboard, https://covid19.who.int.

[12] La liste des membres composant cette équipe est disponible sur : https://drive.google.com/file/d/1wfFkn-aDyQR3kmkLvpffbWbtjU5oEyZr/view.

[13] Le projet de convention et l’argumentaire qui le sous-tend sont disponibles en français, anglais et espagnol sur : https://cidce.org/fr/pandemies-et-environnement.