Aller au contenu

Condamnation du groupe Shell aux Pays-Bas : le juge précise la responsabilité civile des multinationales en matière climatique

  • par

Par Claire DEMOY et Sabrina FILLION

Français, English, Español

    Après avoir été mise en demeure par l’association Milieudefensie (Les Amis de la Terre) en 2018, la société « Royal Dutch Shell » a été assignée par 6 ONG ainsi que 17 379 citoyens néerlandais devant le Tribunal de district de la Haye aux Pays-Bas. Les requérants dénonçaient l’insuffisance des engagements du groupe Shell dans sa politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La décision rendue le 26 mai 2021 par le Tribunal néerlandais est sans précédent puisque l’ensemble du groupe Shell, dont ses filiales étrangères, a été enjoint de réduire ses émissions de gaz à effet de serre directs et indirectes (scopes 1, 2 et 3) d’au moins 45% en 2030 par rapport à 2019.

Ce jugement n’est pas sans rappeler la jurisprudence Urgenda de la Cour Suprême des Pays Bas. En effet, en 2015 puis 2018, les juges néerlandais avaient condamné l’État des Pays-Bas pour inaction climatique et ordonné une nouvelle trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25% d’ici 2020.

    La décision de mai 2021 ouvre désormais la voie au contentieux climatique dans le secteur privé, en l’occurrence à l’encontre des multinationales pétrolières [1]. Elle rappelle le rôle des entreprises dans le processus de décarbonation. Comme le met en évidence M. Hautereau-Boutonnet dans son commentaire de la décision, le juge reconnaît la responsabilité civile de l’entreprise Royal Dutch Shell     « en raison de sa participation au changement climatique à un niveau mondial, et des conséquences au niveau local qui en résultent pour les victimes représentées (…). L’entreprise RDS est donc condamnée, non pas à réparer les préjudices des victimes, mais à les prévenir, au terme d’une action en cessation de l’illicite. » [2] Pour fonder sa décision, le juge :

  • Relève un risque de violation du droit à la vie et du droit au respect de la vie privée et familiale consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme.
  •  Le tribunal se fonde également sur le principe de « duty of care », s’apparentant grandement au devoir de vigilance français. Il se fonde ainsi sur une sorte de standard évolutif de prudence.
  • Une obligation de résultat incombe au groupe Shell en ce qui concerne les émissions du scope 1. De plus, le juge insiste sur l’obligation de moyens importante qui repose sur les entreprises en termes de prévention. Shell est reconnu responsable des émissions de ses clients (scope 3) et fournisseurs.

Cette décision marque un tournant majeur dans la reconnaissance de la responsabilité individuelle des entreprises en matière de changement climatique [3]. Elle fait écho au contentieux français qui oppose depuis octobre 2018 un collectif d’associations et de collectivités au géant pétrolier français Total [4]. Elle pourrait donc constituer une source d’inspiration importante pour les juges français et au-delà.

M. Hautereau-Boutonnet : « Dans la continuité de l’affaire Urgenda, ce jugement confirme le potentiel gagnant du devoir de prudence/ vigilance dans le contentieux climatique et du rôle pivot des éléments de preuve soumis au juge pour déterminer sa portée et examiner sa méconnaissance ».

[1] C. BAUDOUIN, « CP / Condamnation de Shell aux Pays-Bas : un tournant majeur vers la responsabilité des multinationales en matière climatique », Notre Affaire à Tous, 26 mai 2021, disponible : https://notreaffaireatous.org/cp-condamnation-de-shell-aux-pays-bas-un-tournant-majeur-vers-la-responsabilite-des-multinationales-en-matiere-climatique/.

[2] M. HAUTEREAU-BOUTONNET, « Première condamnation d’une entreprise pétrolière en matière de contentieux climatique ! », Le club des juristes, 7 juin 2021, disponible : https://blog.leclubdesjuristes.com/premiere-condamnation-dune-entreprise-petroliere-en-matiere-de-contentieux-climatique/

[3] C. BAUDOUIN, Ibid.

[4] L. RADISSON, « Justice climatique : pour la première fois, un juge ordonne à une société de réduire ses émissions », Actu-environnement, 27 mai 2021, disponible : https://www.actu-environnement.com/ae/news/justice-climatique-decision-shell-tribunal-la-haye-37597.php4

Conviction of the Shell Group in the Netherlands: the judge clarifies the civil liability of multinationals in climate matters

From Claire DEMOY et Sabrina FILLION

    After being served with a formal notice by the association Milieudefensie (Friends of the Earth) in 2018, the company « Royal Dutch Shell » was summoned by 6 NGOs and 17,379 Dutch citizens before the Hague’s District Court in the Netherlands. The plaintiffs denounced the insufficiency of the commitments of the Shell group in its policy of reducing greenhouse gas emissions. The decision rendered on May 26, 2021, by the Dutch court is unprecedented. The entire Shell group, including its foreign subsidiaries, has been ordered to reduce its direct and indirect greenhouse gas emissions (scopes 1, 2, and 3) by at least 45% in 2030 compared to 2019. 

This judgment is reminiscent of the Urgenda case law of the Dutch Supreme Court. Indeed, in 2015 and 2018, the Dutch judges had then condemned the Dutch state for climate inaction and ordered a new trajectory of greenhouse gas emission reductions of at least 25% by 2020.

    The May 2021 decision now paves the way for climate litigation in the private sector, here against multinational oil companies [1]. It is a reminder of the role of business in the decarbonization process. As highlighted by M. Hautereau-Boutonnet in her decision’s commentary, the judge recognizes the civil liability of Royal Dutch Shell « because it participates in climate change at a global level, and the resulting consequences at a local level for the victims represented (…). Therefore, the RDS company is condemned, not to repair the victims’ damages, but to prevent them » [2]To base his decision, the judge : 

  • considers that there is a risk of violation of the right to life and the right to respect for private and family life enshrined in the European Convention on Human Rights ;
  • relies on the principle of duty of care, which is very similar to the French duty of vigilance. It is the « unwritten norm » which corresponds to a sort of evolving standard of care ;
  • the Shell group has an obligation of result concerning scope 1 emissions. In addition, the judge insists on the importance of the means’ obligations in terms of prevention. Shell is recognized as being responsible for the emissions of its customers (scope 3) and suppliers.


This decision marks a turning point in the recognition of individual corporate responsibility for climate change [3]. It echoes the French litigation that has pitted a collective of associations and communities against the French oil giant Total since October 2018 [4]. It could be a source of inspiration for French judges and beyond. 

M. Hautereau-Boutonnet: « In the continuity of the Urgenda case, this judgment confirms the winning potential of the duty of care/ vigilance in climate litigation and the pivotal role of the evidence submitted to the judge to determine its scope and examine its disregard. » [5]

[1] C. BAUDOUIN, « CP / Condamnation de Shell aux Pays-Bas : un tournant majeur vers la responsabilité des multinationales en matière climatique », Notre Affaire à Tous, 26 May 2021, available: https://notreaffaireatous.org/cp-condamnation-de-shell-aux-pays-bas-un-tournant-majeur-vers-la-responsabilite-des-multinationales-en-matiere-climatique/.

[2] M. HAUTEREAU-BOUTONNET, « Première condamnation d’une entreprise pétrolière en matière de contentieux climatique », Le club des juristes, 7 June 2021, available: https://blog.leclubdesjuristes.com/premiere-condamnation-dune-entreprise-petroliere-en-matiere-de-contentieux-climatique/. 

[3] C. BAUDOUIN, Ibid.

[4] L. RADISSON, « Justice climatique : pour la première fois, un juge ordonne à une société de réduire ses émissions », Actu-environnement, 27 May 2021, available: https://www.actu-environnement.com/ae/news/justice-climatique-decision-shell-tribunal-la-haye-37597.php4

[5] M. HAUTEREAU-BOUTONNET, ibid., translated by the authors.

Sentencia del grupo Shell en Holanda : el juez aclara la responsabilidad civil de las multinacionales en materia climática

Por Claire DEMOY y Sabrina FILLION

    Tras recibir una notificación formal de la asociación Milieudefensie (Amigos de la Tierra) en 2018, la empresa « Royal Dutch Shell » fue citada por 6 ONG y 17.379 ciudadanos holandeses ante el Tribunal de Distrito de La Haya, en los Países Bajos. Los demandantes se quejaban de que los compromisos de Shell para reducir las emisiones de gases de efecto invernadero eran insuficientes. La decisión del tribunal holandés del 26 de mayo de 2021 no tiene precedentes. Se ordenó a todo el grupo Shell, incluidas sus filiales extranjeras, que redujera sus emisiones directas e indirectas de gases de efecto invernadero (scopes 1, 2 y 3) en al menos un 45% en 2030 en comparación con 2019.

Esta sentencia recuerda a la jurisprudencia Urgenda del Tribunal Supremo holandés. En 2015 y 2018, los jueces holandeses condenaron al gobierno holandés por inacción climática y ordenaron una nueva trayectoria para reducir las emisiones de gases de efecto invernadero en al menos un 25% para 2020.

    La decisión de mayo de 2021 allana ahora el camino para los litigios climáticos en el sector privado, en este caso contra las multinacionales petroleras [1]. Es un recordatorio del papel de las empresas en el proceso de descarbonización. Como subraya M. Hautereau-Boutonnet en su comentario sobre la decisión, el juez reconoce la responsabilidad civil de la empresa Royal Dutch Shell « por su participación en el cambio climático a nivel mundial, y las consecuencias locales resultantes para las víctimas representadas (…). Por lo tanto, se condena a la empresa RDS, no a reparar el daño causado a las víctimas, sino a evitarlo » [2].

Para basar su decisión, el juez :
  • Planteó un riesgo de violación del derecho a la vida y del derecho al respeto de la vida privada y familiar consagrados en el Convenio Europeo de Derechos Humanos.
  • El tribunal también se basó en el principio del « deber de cuidado », que es muy similar al deber de vigilancia francés.
  • El grupo Shell tiene una obligación de resultado con respecto a las emisiones de scope 1. Además, el juez insiste en la importante obligación de medios que recae sobre las empresas en materia de prevención. Shell fue considerada responsable de las emisiones de sus clientes (scope 3) y proveedores.

Esta decisión marca un importante punto de inflexión en el reconocimiento de la responsabilidad individual de las empresas sobre el cambio climático [3]. Se hace eco del litigio francés que desde octubre de 2018 enfrenta a un grupo de asociaciones y autoridades locales con el gigante petrolero francés Total [4]. Podría ser una importante fuente de inspiración para los jueces franceses y otros.

M. Hautereau-Boutonnet : « Tras el caso Urgenda, esta sentencia confirma el potencial ganador del deber de diligencia en los litigios climáticos y el papel fundamental de las pruebas presentadas al juez para determinar su alcance y examinar su incumplimiento » [5].

[1] C. BAUDOUIN, « CP / Condamnation de Shell aux Pays-Bas : un tournant majeur vers la responsabilité des multinationales en matière climatique », Notre Affaire à Tous, 26 de mayo de 2021, disponible:  https://notreaffaireatous.org/cp-condamnation-de-shell-aux-pays-bas-un-tournant-majeur-vers-la-responsabilite-des-multinationales-en-matiere-climatique/.

[2] M. HAUTEREAU-BOUTONNET, « Première condamnation d’une entreprise pétrolière en matière de contentieux climatique », Le club des juristes, 7 de junio de 2021, disponible: https://blog.leclubdesjuristes.com/premiere-condamnation-dune-entreprise-petroliere-en-matiere-de-contentieux-climatique/. 

[3] C. BAUDOUIN, Ibid.

[4] L. RADISSON, « Justice climatique : pour la première fois, un juge ordonne à une société de réduire ses émissions », Actu-environnement, 27 de mayo de 2021, disponible: https://www.actu-environnement.com/ae/news/justice-climatique-decision-shell-tribunal-la-haye-37597.php4

[5] M. HAUTEREAU-BOUTONNET, ibid., traducido por los autores.