Le feuilleton du processus des Nations Unies vers un pacte mondial pour l’environnement a connu un nouvel épisode en cette période de crise sanitaire lors d’une consultation informelle virtuelle qui s’est tenue en juillet 2020, réunissant les États membres et les parties prenantes, y compris les organisations de la société civile. Cette fois, le message semblait plus clair : le débat pour l’adoption d’un pacte mondial pour l’environnement n’est plus d’actualité ! Mais pour la société civile, il ne fait que commencer.
Bref historique du processus
Dans sa résolution 72/277 du 10 mai 2018 intitulée « Vers un pacte mondial pour l’environnement », l’Assemblée générale des Nations Unies instituait un groupe de travail à composition non limitée chargé d’examiner les moyens qui permettraient de remédier aux lacunes éventuelles du droit international de l’environnement et des textes relatifs à l’environnement. S’il jugeait nécessaire de recourir à un instrument international, le groupe de travail devait dans le même temps en apprécier « le champ d’application, les paramètres et les possibilités d’élaboration » en vue de formuler en 2019 « des recommandations qui pourront notamment porter sur la tenue d’une conférence intergouvernementale dans la perspective de l’adoption d’un instrument international » [pacte mondial pour l’environnement].
Au terme de ses travaux en mai 2019, le groupe de travail a jugé inopportun l’adoption d’un pacte mondial pour l’environnement en tant qu’instrument juridiquement contraignant regroupant les principes fondamentaux du droit international de l’environnement. Il a toutefois formulé une série de recommandations, dont l’élaboration d’une déclaration politique par l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement en février 2021 en vue d’une réunion de haut niveau des Nations Unies en 2022, lors de la commémoration du cinquantième anniversaire de la création du PNUE par la Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain, tenue à Stockholm en 1972, dans le but de « renforcer l’application du droit international de l’environnement et la gouvernance environnementale internationale ».
Dans sa résolution 73/333 du 30 août 2019, intitulée « Suite à donner au rapport du groupe de travail spécial à composition non limitée », l’Assemblée générale des Nations Unies a endossé toutes les recommandations du groupe de travail.
Dans le cadre de la mise en œuvre de ladite résolution (donc des recommandations du groupe de travail) et de la préparation de la déclaration politique sus-évoquée, le PNUE a organisé une consultation informelle virtuelle, les 21 au 22 juillet 2020 (qui aurait dû s’achever le 23 juillet mais s’est terminée la veille ; plus d’informations sur le programme et les documents y afférents ICI.)
Le pacte mondial pour l’environnement mis en veilleuse durant la consultation informelle
Compte tenu des recommandations du groupe de travail à composition non limitée, telles qu’entérinées par la résolution 73/333 susmentionnée, il planait toujours une incertitude pour les uns, ou une lueur d’espoir pour les autres, sur les suites à donner au projet de pacte mondial pour l’environnement. En effet, le groupe de travail a recommandé à l’Assemblée générale de « reconnaître le rôle des discussions sur les principes du droit international de l’environnement dans le renforcement de l’application de ce dernier » (recommandation 2.c). Même s’il ajoutait qu’il fallait aussi prendre « note des travaux en cours dans le cadre de la Commission du droit international concernant les principes généraux du droit », la première mention était interprétée, par bon nombre d’observateurs, comme une brèche pour une éventuelle poursuite du débat autour du projet de pacte. Peut-être pas dans l’immédiat, mais du moins avec l’assurance de ce dossier du pacte mondial n’était pas classé. La rédaction de la déclaration politique était donc un rendez-vous crucial pour les partisans du pacte, car il serait pour eux l’occasion de définir les suites à donner et éventuellement les conditions ou modalités d’une possible reprise des négociations, fort des résultats de la première expérience.
Cependant, la consultation informelle a donné le sentiment que le débat sur le pacte était clos. Il n’a pas été question de discuter du pacte, mais de se focaliser sur la mise œuvre des instruments existants pour « renforcer l’application du droit international de l’environnement et la gouvernance environnementale internationale » (quoique le pacte aurait pu être un instrument efficace et essentiel à cet effet). Ainsi, comme pour éviter toute « digression » et ne pas s’éloigner de cet objectif, les co-facilitateurs de la consultation informelle ont produit l’un des agendas des plus élaborés et des plus précis qui puisse être, avec à la clé un « document » énonçant une série de 39 questions précises, en lien avec chacune des 13 recommandations du groupe de travail, et auxquelles les États membres et les parties prenantes se devaient de répondre spécifiquement. Les réponses à ces questions serviraient de « base d’un deuxième document qui traitera des éléments constitutifs du projet de déclaration politique » (§ 3 du « document » susmentionné). Les recommandations, y compris les questions qui les accompagnaient, étaient guidées par cinq objectifs principaux : (1) renforcer la protection de l’environnement pour les générations présentes et futures ; (2) respecter les obligations et engagements respectifs en vertu du droit international de l’environnement des États membres des Nations Unies et des membres des institutions spécialisées ; (3) contribuer au renforcement de la mise en œuvre du droit international de l’environnement et des instruments relatifs à l’environnement ; (4) soutenir la mise en œuvre intégrale du Programme de développement durable à l’horizon 2030, ainsi que « L’avenir que nous voulons » ; et (5) ne pas porter atteinte aux instruments et cadres juridiques pertinents existants et aux organes mondiaux, régionaux et sectoriels pertinents. Aucune mention du projet de pacte n’était ainsi faite dans le questionnaire. Le message implicite qui s’en dégageait était donc que le pacte mondial pour l’environnement n’était plus d’actualité, ou en tout cas qu’il n’y avait pas lieu de l’aborder.
Comme il fallait s’y attendre, la consultation informelle ayant été ainsi balisée, le projet de pacte a été totalement absent des débats durant les deux jours qu’elle a duré. Si les États qui semblaient y être favorables au départ sont restés passifs, certains ont même paru en retrait par rapport leurs prises de positions antérieures. L’Union européenne, au nom de ses États membres, a en effet affirmé dans sa communication : « On the issue of principles of international environmental law, it is not the intention of the EU and its Member States that the negotiations on the political declaration should lead to a legally binding pact » (« Sur la question des principes du droit international de l’environnement, l’intention de l’UE et ses États membres n’est pas que les négociations sur la déclaration politique devraient aboutir à un pacte juridiquement contraignant »). Est-ce une résignation du fait de facteurs géopolitiques et diplomatiques laissant entrevoir un combat perdu d’avance ?
Seule la société civile ne s’est pas laissé détourner de la véritable trajectoire. Réunie en une quasi-coalition, c’est vainement qu’elle a tenté de tirer la sonnette d’alarme et de recadrer le débat. Mais que vaudrait la voix d’une société civile mobilisée face à des États indifférents ? Le destin du pacte est-alors scellé ? Assurément pas, si l’on est toujours convaincu de son importance et sa nécessité, tel que réaffirmé par le Centre international de droit comparé de l’environnement (CIDCE) dans la communication adressée au PNUE dans le cadre de la consultation informelle et dans celle de la « coalition des ONG pour le pacte ».
Deux autres consultations informelles sur le projet de déclaration politique sont programmées, l’une à l’automne 2020 et l’autre au début de l’année prochaine. À défaut de remettre le pacte à flot, il faut espérer qu’elles contribueront à la formulation par l’UNEA-5 d’une solide déclaration politique pour la consolidation et le développement du droit de l’environnement, à partir des progrès enregistrés en un demi-siècle depuis l’adoption de la Déclaration de Stockholm.
Mais l’idéal serait tout au moins une référence au pacte dans ladite déclaration. Conforme à la recommandation qui demande une reconnaissance du « rôle des discussions sur les principes du droit international de l’environnement dans le renforcement de l’application de ce dernier » (recommandation 2.c), une telle référence, d’une part permettrait de ne pas définitivement clore le débat et faire table rase de tous les acquis du processus, et d’autre part serait une base nécessaire pour une éventuelle reprise des discussions, de là où elles avaient été laissées, dans un contexte plus favorable. Car on ne cessera de le réaffirmer, le pacte mondial pour l’environnement demeure un instrument nécessaire au renforcement et à la mise en œuvre effective du droit international de l’environnement et des instruments relatifs à l’environnement.